Chevaliers redoutables … et multiculturalisme exemplaire

Le royaume de Sicile, l’un des états les plus puissants d’Europe, est officiellement né la veille de Noël 1130 avec le couronnement de Roger II, fils de Roger de Hauteville (originaire de Normandie) qui avait pris le contrôle de la Sicile contre les Arabes en 1072. Il faut dire que la souveraineté sur les territoires conquis a été assurée en partie par le respect qu’imposaient les exploits de guerre des chevaliers Normands, mais aussi par la mise en place d’une gouvernance unique, basée sur un multiculturalisme qui sait tirer le meilleur parti de ses composantes hétéroclites. À la croisée des mondes grec, latin et arabe, ce royaume est souvent cité comme un modèle de tolérance au cœur d’une époque meurtrie par les guerres de religion.

Comment tout ceci a commencé ?

Au début du XIe siècle, quelques Normands connaissent la région du sud de l’Italie en tant que pèlerins puisqu’ils l’ont traversée pour se rendre à Jérusalem. De retour en Normandie, ils ont vanté la beauté des paysages, la fertilité des terres et l’argent facile à se faire pourvu qu’on sache se battre. En quête de gloire et de gain, des petits chevaliers normands émigrent donc jusqu’en Italie du Sud. Les puissants de la région sont ravis d’embaucher ces redoutables guerriers, mais l’opération s’avère une erreur politique. Car, peu à peu, ces combattants, au lieu de servir, finissent par SE servir. Ils entreprennent des expéditions pour leur propre compte et conquièrent des territoires. Qui sont ces mercenaires ? De jeunes nobles sans fortune, originaires de Normandie, qui sont exclus des héritages paternels.

Les fils de Tancrède

Tancrède de Hauteville est un petit noble normand ayant douze fils. Beaucoup trop pour espérer que chacun puisse vivre de sa part d’héritage. La plupart d’entre eux quittent la Normandie dans l’espoir de trouver fortune ailleurs. Deux noms s’illustreront en Italie du Sud: Robert et Roger.

« Il faut savoir qu’à cette époque, les Normands représentent une élite de combattants en Europe. Leur force repose sur la cavalerie lourde, composée de chevaliers armés de lance et protégés par une cotte de mailles et un bouclier, qui chargent leurs adversaires au galop du cheval. Cette redoutable forme d’attaque n’existe pas dans le sud de la péninsule italienne. Les frères Robert et Roger ont ces attributs d’excellents combattants, mais ils sont également de bons stratèges et des chefs audacieux. Ils susciteront rapidement l’admiration partout dans le sud de l’Italie. »

Source : Gwendal Lazzara

Aventuriers réputés pour leur férocité, Robert et Roger mettent leur épée au service du plus offrant dans les conflits qui opposent le pape, les princes lombards et Byzance pour le contrôle de la région. Ils obtiennent rapidement les faveurs du Pape par leurs nombreuses batailles victorieuses.

En 1059, le Pape confère les titres de duc de Pouille et de Calabre à Robert, le plus solide des guerriers. En échange, Robert s’engage à chasser les Arabes (les Sarrasins) de la Sicile pour y restaurer le christianisme. Il délègue cette mission à son jeune frère Roger.

En 1064, Roger tente de prendre Palerme, mais est repoussé par une armée sarrasine bien organisée. Il faut attendre l’arrivée de Robert avec des renforts en 1072, pour que Roger réussisse à prendre Palerme aux mains des Sarrasins. Ceci lance le début d’une nouvelle ère pour la Sicile.

Même si Roger n’avait pas l’étoffe de guerre de son frère ainé Robert, bien qu’il fût tout de même un redoutable combattant, il avait d’autres talents.  Il n’hésite pas à puiser dans la culture arabe pour établir les fondations de son nouveau royaume en Sicile. Il dépense sans compter pour la construction de palais et d’églises, encourageant le cosmopolitisme. Aux côtés du français et du latin, l’arabe et le grec continuent d’être parlés et écrits. Ingénieurs, administrateurs et architectes arabes sont employés à la cour.

De 1072 à 1101, la Sicile connait la plus brillante période de son histoire.

Nombre de palais et d’églises sont bâtis durant cette période.

À la mort de Roger en 1101, la Sicile est gouvernée par sa veuve jusqu’à ce que son fils Roger II (1095-1154) atteigne l’âge adulte. Roger II s’avère être un monarque talentueux et cultivé, et il entend poursuivre l’œuvre de son père. Ce qu’il fera, et même davantage.

Remarquable pour son soutien aux arts et aux sciences, fasciné par la culture et l’art islamiques, le souverain bâtit dans un style arabo-normand, encourage la traduction des philosophes arabes et maintient les institutions.

Très habilement, il inaugure une politique qui encourage la cohabitation pacifique de tous les Siciliens, qu’ils soient musulmans, grecs ou latins. En diplomate avisé, il promulgue une loi interdisant toute atteinte aux coutumes des peuples soumis à son pouvoir. Chacun est libre de pratiquer sa religion, conserve ses chefs religieux et est jugé selon ses propres lois. La chancellerie s’exprime en trois langues (latin, grec, arabe) et une partie du personnel est arabe ou grec. Son règne se distingue également par la mise en place d’une administration (la plus efficace de toute l’Europe) attentive à tous les sujets du roi, dans le plus grand respect des traditions culturelles et religieuses diverses du peuple sicilien. Sa cour fait d’ailleurs rédiger le 1er code civil de l’histoire sicilienne.

Ce régime très original surprend les étrangers de passage à Palerme : Le normand est perçu comme un monarque enturbanné, mais son royaume est prospère et compte sur l’échiquier méditerranéen. Par héritage, par la force et la négociation, Roger II de Sicile parvient à réunir les différents états d’Italie du Sud. Le souverain s’assure également le contrôle des territoires d’Afrique du Nord.

Le multiculturalisme hautement efficace et exemplaire ne survivra toutefois pas à la mort de Roger II.

Bien que les frontières du royaume de Sicile demeurent relativement intactes (dans le sud de l’Italie) pour de nombreux siècles à venir, les conquérants qui suivirent (mis à part Frédéric II) se consacrent essentiellement à extorquer le territoire et le peuple, engendrant conflits et révoltes.

|| Vous souhaitez en savoir plus sur l’histoire sicilienne ? Lisez notre article L’Essentiel : Guide sur la Sicile !