Pour mieux comprendre la Sicile

Si l’on vous demandait où étiez-vous le 23 mai 1992, seriez-vous en mesure de vous rappeler ? Probablement pas ! Mais pour tous les Italiens et Siciliens, eux se rappellent !

Giovanni Salvatore Augusto Falcone, né à Palerme le 18 mai 1939, était un juge italien engagé dans la lutte anti-mafia.  Après de brillantes études de droit à Palerme, il devient magistrat en 1964, puis, c’est en dépouillant d’obscurs dossiers financiers qu’il découvre le monde du banditisme qu’est celui de Cosa Nostra et qu’il affinera ce qu’on appellera plus tard la « méthode Falcone ». Procureur adjoint au tribunal de Trapani, il est transféré en 1978 à Palerme où il devient juge d’instruction.

En 1979, après l’assassinat du juge Cesare Terranova qui a mené sans succès un procès contre certains dirigeants mafieux dans lequel tous ont été acquittés, Falcone rentre alors au sein du « pool » antimafia de Palerme. Dans les années qui suivirent, le « pool antimafia » gagne en crédibilité sur son efficacité à enrayer les crimes mafieux.

C’est d’ailleurs sur la base du témoignage de l’un des plus importants repentis de Cosa Nostra, Tommaso Buscetta dit « Don Masino » ou « le boss des deux mondes » en 1984, que Giovanni Falcone ouvre en 1986 le « maxi-procès » de Palerme dont il est l’instigateur avec son ami le juge Paolo Borsellino.

Giovanni Falcone (à gauche) et Paulo Borsellino (à droite)

Le procès doit alors faire comparaître 475 accusés si bien que la cour pénale de Palerme n’est pas assez grande. On a donc créé ce qui fut appelé une salle d’audience-bunker, spécialement conçue et construite pour cette occasion 👉

👉 La salle d’audience-bunker était un vaste bâtiment de forme octogonale en béton armé, capable de résister à des attaques de roquettes. À l’intérieur de cette structure, il y avait plusieurs centaines de journalistes, des carabinieri portant des mitraillettes et un système de défense antiaérienne.

À l’issue du maxi-procès (Le 16 décembre 1987), on compte pas moins de :

  • 360 condamnations, dont 19 peines à perpétuité ;
  • 114 acquittements ;
  • et 2 665 années de prison cumulées par les condamnés.

Falcone demandera ensuite des moyens supplémentaires pour poursuivre la lutte anti-mafia mais les décisions se font attendre. Ce sera finalement le 13 mars 1991 que ses efforts porteront fruit. Falcone sera alors nommé directeur des Affaires pénales du ministère de la Justice, à Rome, où il centralisera la lutte antimafia.

Le juge devient un héros et un symbole célébré partout en Italie, malgré le fait que certains personnages de la classe politique de l’époque cherchent à le discréditer. Il devient également l’ennemi numéro 1 de Cosa Nostra qui fait de lui sa cible principale.

Sous la forte menace d’attentat, et délaissé par une partie de la classe politique, Falcone est contraint de vivre 24 heures sur 24 accompagné d’une escorte importante. Il en choisit d’ailleurs huit chaque jour, qu’il désigne au dernier moment.

Le dispositif d’escorte n’est toutefois pas suffisant pour protéger Giovanni Falcone, et le 23 mai 1992, il est assassiné par Cosa Nostra dans ce qu’on appelle le « massacre de Capaci ».

Les membres de Cosa Nostra placent dans un tunnel d’évacuation des eaux situé sous l’autoroute reliant l’aéroport de Punta Raisi à Palerme 500 kilos d’explosifs destinés à piéger Giovanni Falcone.

Le juge, se trouvant dans la voiture du milieu d’un cortège de trois voitures blindées, meurt avec sa femme ainsi que les trois gardes du corps du premier véhicule. Cet attentat est une réponse à la volonté de Giovanni Falcone de vouloir mettre sur pied une brigade antimafia (une sorte de FBI italien).

L’annonce de son assassinat suscite une forte émotion dans toute l’Italie. Des palermitains se rassemblent spontanément autour du magnolia devant sa maison, arbre qui deviendra symbole de la cause antimafia, et même une sorte d’autel civique. Des témoignages écrits affluent, des dons, des fleurs, des bijoux, remplissent le parterre autour de l’arbre, dès le jour du massacre.

Au fil du temps, l’arbre devient un lieu de pèlerinage, et le juge devient presque un saint, en tous les cas un martyr de la justice, la lutte contre la mafia prenant des aspects religieux.

De nombreuses écoles et un grand nombre de bâtiments publics portent aujourd’hui son nom, parmi lesquels l’aéroport International de Palerme connu sous le nom d’Aéroport Falcone-Borsellino, ainsi que des routes.

Plusieurs livres ont été écrits depuis la mort de Falcone, notamment ‘’Cosa Nostra’’ L’entretien historique de Marcelle Padovani avec Giovanni Falcone (Éditions La Contre Allée) que nous vous recommandons fortement afin de mieux comprendre le maxi procès …et que vous lirez probablement en une seule journée !

Il y a également la Fondation Falcone, créée à Palerme le 10 décembre 1992 dans le but de promouvoir une culture de la légalité dans la société, et chez les jeunes en particulier, pour favoriser les activités culturelles, d’étude et de recherche propices au développement d’une conscience anti-mafia.

Savoir qui est Giovanni Falcone aide à comprendre davantage la Sicile d’hier à aujourd’hui, et surtout d’apprécier le cheminement que son peuple ainsi que toute l’Italie ont su entreprendre pour devenir une société qui se respecte. Fort heureusement, le gangstérisme de rue n’est plus un fléau de la vie sicilienne d’aujourd’hui.