L’histoire débute en 1880, presque 20 ans après la création de l’Italie unifiée telle que nous la connaissons aujourd’hui. À cette époque, une grande partie de l’Italie est rurale (surtout en Sicile) alors que presque 70 % de la population est composée d’agriculteurs. La redistribution des terres engendrée par la fin du féodalisme en 1861 ne permet pas aux petits agriculteurs de vivre de leur production. Beaucoup ne disposent que de toutes petites parcelles qu’il faut diviser au cours des successions patrimoniales.

Ce problème atteint des proportions nationales autour de 1880 et fait en sorte que l’Italie ne produit plus suffisamment de denrées alimentaires. Au même moment, l’Italie connait une crise économique et bancaire historique et, pour ajouter au contexte de misère et de malnutrition, le manque d’aménagement des zones marécageuses engendre une épidémie de malaria.

C’est dans ce contexte que l’exode massif des Italiens débuta en 1880 et se poursuivit jusqu’en 1920. Durant cette période, près de 4 millions d’Italiens émigreront vers les États-Unis, dont plus d’un quart (1 126 513) étant Siciliens.

Luttant littéralement pour leur survie, les Siciliens quittent la terre de leurs ancêtres, nourris d’espoir de connaître la prospérité en Amérique. Pour plusieurs, l’arrivée sera brutale.

D’entrée de jeu, il faut savoir qu’à l’époque les Siciliens étaient considérés comme une race inférieure, impure, pauvre, dégénérée et à l’esprit criminel. Et il n’y a pas que les Américains qui étaient de cet avis : les immigrants d’Europe du nord et de l’est étaient aussi très méprisants vis-à-vis des Siciliens, ainsi que ceux du nord de l’Italie. Par conséquent, les Siciliens étaient relégués aux emplois serviles les moins bien payés, et vivaient dans les quartiers les plus démunis. Les préjugés contre les Siciliens étaient monnaie courante et pouvaient parfois même mener à des actions meurtrières.

Marginalisés par la société, les Siciliens resserrent leurs rangs pour rester soudés. Dès le début du XXe siècle, des enclaves siciliennes font leur apparition parmi les plus grandes villes américaines. À New York, les Siciliens s’établissent sur la 69e Rue Est et à Elizabeth Street, une rue délimitant « Little Italy » ; le quartier français de la Nouvelle-Orléans est rapidement surnommé « Little Palermo » ; une petite Sicile est créée dans le centre-ville de Chicago ; la plage nord de San Francisco est un point de rencontre pour la communauté de la Trinacria ; la célèbre rue North Street à Boston dégage une atmosphère résolument sicilienne.

Au fur et à mesure que ces petites communautés s’établirent, des groupes d’entraide furent fondés. On aidait ainsi les nouveaux arrivants à trouver un logement, un emploi, et à trouver leurs repères dans cette nouvelle vie.

Ce fut le cas pour la parenté de certaines des célébrités qui ont créé le monde du cinéma et de la musique internationale ; célébrités dont les parents, grands-parents et arrière-grands-parents ont fait partie de cette vague massive d’émigration sicilienne aux États-Unis au début du XXe siècle.

Frank Sinatra – 1ère génération (1915)

Le célèbre chanteur et acteur Frank Sinatra (Francis Albert Sinatra) est né en 1915 à Hoboken, New Jersey, aux États-Unis. Son destin, semble-t-il, a pris naissance dans un événement meurtrier. Tout d’abord, nous savons que son père, Antonino Martino, était originaire de Lercara Friddi (45 km au sud-est de Palerme). La mère, Natalina Maria Vittoria Garaventa, était de la Ligurie (nord de l’Italie).

Le père de Frank Sinatra a commis un crime d’honneur au début du XXe siècle. Encore très jeune, il vivait à Palagonia, dans la région de Catania, et aurait été contraint d’émigrer pour échapper à la justice italienne.

En Amérique, Antonino Martino a pris le nom de Martin O’Brien, on le comprend d’emblée, pour éviter les problèmes de vendetta. Après avoir exercé divers métiers, dont celui d’ouvrier, de cordonnier et de boxeur, il demande la main de Natalina, renommée Dolly.

On peut visiter un musée consacré à Frank Sinatra et aux migrants d’Amérique, à Lercara Friddi. Le musée rassemble des souvenirs appartenant à l’artiste. En 2015, grâce à Irene Soggia qui a fait don de sa collection privée contenant plus de 300 disques, photos et articles, l’exposition est devenue une collection permanente. Au cours des dernières années, d’autres fans du monde entier ont continué d’enrichir la collection. Outre le musée, il y a aussi le festival de musique jazz My Way à chaque année à Lercara Friddi.

Al Pacino – 2e génération (1940)

L’acteur Al Pacino est né à East Harlem, dans le district de Manhattan (New York), le 25 avril 1940. Son père, Salvatore Pacino, était un agent d’assurances et restaurateur, fils d’immigrés siciliens originaires de San Fratello dans la province de Messine.

Sa mère, Rose Gelardi, était une femme également fille d’immigrés siciliens, ces derniers étant originaires de Corleone dans la province de Palerme.

Les cinéphiles avertis seront ravis de voir que le village natal des grands-parents d’Al Pacino, Corleone, village également célèbre pour avoir été le foyer de la puissante mafia du 20e siècle sous le règne de Toto Rina, aura inspiré l’auteur de la trilogie du Parrain pour en faire le lieu de naissance du personnage principal de l’histoire, Vito Corleone.

Lady Gaga – 3e génération (1986)

Née Joanne Stefani Germanotta le 28 mars 1986 dans l’Upper East Side de New York, Lady Gaga a grandi à Manhattan. Son père était un entrepreneur et restaurateur d’origine sicilienne tandis que sa mère était une femme au foyer d’origine canadienne française. De toute évidence, l’excès mélodramatique et le sens du baroque théâtral de Lady Gaga jaillissent de sa descendance sicilienne.

Pour retracer ses origines, il faut remonter à son arrière-grand-père, Antonino Germanotta. Celui-ci était un cordonnier de Naso, une petite ville de 4000 habitants perchée sur la côte nord de la Sicile, non loin des Monts Nebrodi.

C’est en 1908 que Antonino Germanotta quittera sa terre natale pour se rendre à New York par bateau.

Je pense à la façon dont mes arrière-grands-parents ont abandonné un si bel endroit et à tous les sacrifices qu’ils ont consentis (Lady Gaga).

On imagine facilement la difficulté du voyage par bateau – dans les conditions sanitaires de l’époque – que cet homme et bien d’autres siciliens ont enduré.

Nul doute également que l’espoir d’une vie meilleure pour le peuple sicilien fut ce qui lui permit de surmonter de grandes épreuves. Outre les difficultés pour les nouveaux arrivants de se loger et de trouver un travail, un autre fléau de l’époque du grand exode (entre 1880 et 1920) les guettait : les « padroni ».

Les Padroni étaient des êtres sans scrupules, des immigrants siciliens déjà bien établis et faisant office d’intermédiaires, qui œuvraient à trouver de la main d’œuvre bon marché aux entreprises américaines. Ces derniers faisaient miroiter une traversée en bateau gratuite et la garantie d’un travail, ce qui leur permettait d’attirer leurs compatriotes siciliens en Amérique. Ne se doutant de rien, les nouveaux arrivants étaient accueillis à leur arrivée en paquebot et transportés pour aller travailler sans rémunération, soumis à la servitude jusqu’à ce qu’ils aient remboursé leur « padrone » pour ses « services ».

Les récits des lieux où les siciliens se sont établis en Amérique, de leur mode de vie, et de leurs destinées sont loin d’être banals. Et le simple fait que la progéniture « d’immigrants pauvres et marginalisés » ait atteint le rang de célébrité internationale entre 1 et 3 générations plus tard n’est pas banal non plus.

Pour ceux qui ont envie d’en savoir plus sur le sujet, nous recommandons la lecture de l’excellent article Sicilian Americans rédigé par Laura C. Rudolph.

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C’est l’article le plus populaire en 2019 sur notre blogue 😉